mardi 29 octobre 2019

Quand le voile obscurcit la pensée



La polémique sur le voile empoisonne le débat public depuis des années maintenant. D’un côté on prône la tolérance, on argue d’une tenue traditionnelle voulue et innocente. D’un autre on brandit un symbole de de l’oppression, de l’obscurantisme et du terrorisme. Des deux côtés on invoque la laïcité.
Des deux côtés on a raison de défendre son point de vue, mais des deux côtés on a tort de ne pas prendre en compte les arguments de l’autre.

Le Dilemme

J’ai passé mon adolescence à Roubaix, première ville de France pour l’immigration d’origine maghrébine à l’époque.  Dans les années 70, il était fréquent de croiser femmes et hommes en djellabas et les femmes avec un foulard. Et personne n’y trouvait vraiment à redire. C’était vu comme une sorte de tenue exotique. Et la plupart des gens ignoraient tout des islamistes radicaux et de leur interprétation du Coran. Et après tout, quand nous visitions le Maghreb, nous le faisions avec nos tenues à nous….   
Cette façon de porter le voile n’avait rien de dérangeant ni de provoquant, et c’est encore probablement comme cela pour la plus grande partie de celles qui le portent aujourd’hui. Et il est dans ce cas, certainement injuste de voire dans ces femmes des représentantes ou des partisanes des talibans.

Reste que ces talibans, et avec eux tous les ayatollahs et autres islamistes radicaux, ont fait du voile un symbole de leur mainmise sur la population et une manifestation visible de l’oppression qu’ils étaient en mesure d’exercer. Son port est devenu une exigence, et son non-respect un affront public à leur autorité. Ils se sont montrés prêts à toutes les cruautés pour imposer le port du voile.
Chez nous, au lendemain des évènements tragiques du 11 septembre 2001, des adolescentes qui étaient toujours venues en jeans (ou autres tenues « occidentales ») à l’école, sont venues avec des hidjabs, dans un geste de provocation et de solidarité avec les terroristes. Certes, à l’échelle nationale, elles étaient très minoritaires… Mais le symbole était fort.
Et bien sûr, il est avéré que le port du voile soit parfois contraint par des maris ou des frères, des pères possessifs et endoctrinés dans des idéologies malsaines comme en témoigne la récente tribune[1] signées par une centaine de musulmans. Il est de ce fait un symbole de l’oppression de la femme.
Que ce soient les islamistes radicaux, leurs sympathisant(e)s peu éclairées ou les maris machos. Tous ont largement fait du voile le symbole de l’obscurantisme, de l’oppression, de la cruauté et des idéologies pernicieuses…

La question n’est pas de savoir quelle est la vérité entre ces deux réalités. Les deux existent et sont bien des réalités. Le voile est à la fois une tenue anodine liée à une croyance personnelle, et le symbole d’un totalitarisme et de toute l’horreur que l’humanité sait produire.

Si cette diabolisation du voile venait de l’extérieur, de ces fachos, racistes et autres théoriciens du grand remplacement, on pourrait leur opposer le pacifisme de la population musulmane. Mais cette image négative du voile a été fabriquée à l’intérieur de la communauté musulmane, (les autres se contentant de mettre de l’huile sur le feu allumé par les islamistes radicaux, des deux côtés on s’ingénie à attiser la haine). Et il devient difficile de défendre l’Islam et le voile de façon indifférenciée.

Le monde est ainsi fait, il est toujours plus facile de noircir que de d’embellir.

Le Symbole

Peut-on porter le voile sans provocation dans le monde, et dans le monde occidental en particulier ?

L’histoire est plutôt sévère avec les symboles. Et il me vient parfois à l’esprit ce parallèle qui peut choquer certains mais qui donne à réfléchir sur la portée de ces symboles. 

Pendant des millénaires, de nombreuses civilisations à travers le monde ont utilisé un même symbole pour définir une sorte d’universalité ou la bonne fortune. La svastika, utilisée par les hindous, les bouddhistes, les chinois, ou même les navajos ou les celtes est un des symboles les plus répandus au monde, pratiquement toujours avec un sens positif.
Si, dans les années 1920, mon grand-père s’était présenté dans une soirée mondaine avec une chemise arborant clairement la croix gammée, il aurait été vu comme un gentil original amateur d’exotisme et d’ésotérisme.
Et puis il y a eu les nazis, une bande de psychopathes qui ont fait ce cette croix le symbole de l’horreur des massacres, et des idéologies nauséabondes. Et le poids du symbole a changé dans nos contrées.
Si je voulais porter aujourd’hui cette même chemise, arborant la croix gammée, sur un plateau de télévision, dans la rue ou dans une soirée – même en expliquant que je la porte gentiment comme un symbole bouddhiste – je me ferais jeter…
Les nazis ont toujours été très minoritaires dans la population européenne et encore plus dans la population mondiale, et ils n’ont sévis qu’une douzaine d’année… mais le mal est fait

Le voile était, bien avant, l’Islam une tradition dans les peuples de certaines régions… Après tout ne représente-t-on pas la vierge des chrétiens, juive de naissance, avec un voile ?
Seulement voilà, là aussi, une bande de psychopathes ont fait ce voile le symbole de l’horreur des massacres, de l’obscurantisme, de l’oppression et des idéologies nauséabondes. Les femmes Iraniennes qui prennent des risques inouïs en enlevant leur voile en public ne peuvent que confirmer cette symbolique odieuse.

Peut-on impunément aujourd’hui arborer en public ce voile au nom duquel on tue ? même en expliquant qu’on le porte d’une façon pacifiste ?

Pour le moins, la question se pose…

J’aimerais bien retourner au temps où chacun s’habillait comme il voulait, les années 60… le temps où se côtoyaient, mini-jupes, pattes d’éph., smoking, jeans, kimonos et djellabahs… mais peut-on faire oublier à la population européenne de quoi le voile islamique est le symbole ?

La Laïcité

Les deux bords invoquent la laïcité. D’un côté on précise que la laïcité c’est le droit d’avoir les croyances qu’on veut et de pratiquer sa religion tant qu’elle ne contrevient pas à l’ordre public. De l’autre on rappelle que la laïcité implique qu’aucune religion, aucune croyance ne peut être invoquée pour modifier l’ordre social et qu’elles sont toutes soumises aux règles de la communauté et de la République.
Là encore ils ont tous les deux raisons. Mais là encore les deux points de vue ne sont pas symétriques. La liberté de culte invoquée par les uns, ne peut exister que si – comme le disent les autres - aucune religion ne peut imposer ses règles propres à la communauté, c’est-à-dire si la loi républicaine prévaut systématiquement sur les règles religieuses ou les croyances personnelles. Ce qui exclut l’idée de pouvoir opposer une quelconque règle religieuse à la communauté républicaine. Porter le voile au nom de la laïcité, pourquoi pas, mais le porter de façon contrainte ou prosélyte… n’est plus laïc.

Un message ambigu

Une difficulté supplémentaire vient de l’ambigüité de la communication de la vaste communauté musulmane. Entre les bonnes paroles de représentants officiels qui prêchent un islam adapté et les terroristes radicaux, il y a ceux qui interdisent en France, l’accès à des cafés aux femmes ; il y a des discours de soutien à peine voilé au terrorisme, y compris dans les écoles ; il y a des Tariq Ramadan ; il y a ces 49% de Musulmans de moins de 25 ans qui « souhaitent que la laïcité s’adapte à l’Islam » ![2]… Il y a l’idée inacceptable que certains pourraient imposer leur loi au nom de leurs croyances personnelles : ce qui est de l’obscurantisme.  Et c’est bien cette crainte de l’obscurantisme qui fait aujourd’hui rejeter ce collègue qui fait ses prières 5 fois par jours, ou cette voisine en niqab qui ne sont certainement pas des terroristes…
Plus inquiétant encore pour les spectateurs extérieurs à la communauté musulmane. Si les extrémistes sont heureusement très minoritaires, les récents événements ont montré qu’il était parfois difficile de les distinguer de la masse des pratiquants ordinaires… même pour les forces de l’ordres et les services de renseignements !

Les musulmans pacifistes souffrent de cette ambiguïté quand les prosélytes et les radicaux en profitent. Des membres de la communauté musulmane britannique ont rapidement compris le danger qu’elle représente et ont lancé il y a 5 ans un mouvement appelé « Not in my name ». Courageuse initiative qui devait combattre l’amalgame issu de cette ambiguïté. Une levée de bouclier de la communauté musulmane contre l'extrémisme islamiste aurait rendu difficile à la fois la parole de ces extrémistes, qui prétendent parler au nom de l’Islam, et celle de ceux qui cherchent à stigmatiser cette communauté musulmane dans son ensemble. Mais les extrémistes ont réussi à les faire taire sous le prétexte fallacieux « qu’on n’a pas à se justifier d’être musulman ».
Certes on n’a pas à justifier une croyance, mais se taire quand les autres parlent… c’est leur laisser la représentativité… et ceux qui occupent les médias actuellement profitent de cet amalgame pour entretenir les peurs et dresser les communautés les unes contre les autres

Quelle place pour l’Islam ?

Plus généralement la république française, qui s’est débarrassé de l’autorité du catholicisme - qui a pourtant accompagné sa construction - peut-elle accueillir l’Islam ?
Mahomet, était prophète et chef temporel. L’Islam a vocation à être loi et foi…. Ce qui est incompatible avec la laïcité et avec la République.
Existe-t-il alors une version aménagée ou « modérée » de cette religion qui puisse être intégrée à notre société ?
Pour cela il faudrait accepter de relativiser le contenu du Coran et accepter de ne plus considérer les versets qui préconisent le massacre des mécréants (tous les non-musulmans) comme le 89ème verset de la sourate 4 – An-Nisa, ou tous les versets qui définissent le statut de l’esclave… Après tous les islamistes radicaux ne font rien d’autre de leur côté quand ils contreviennent allégrement au 82ème verset de cette même sourate qui intime de ne jamais tuer un musulman, alors que la grande majorité de leurs victimes sont des musulmans.
Si on en vient à ne prendre du Coran que les versets qui s’intègrent naturellement à notre République ou ceux qu’on interpréterait dans un sens qui convient à cette même République (comme on le fait déjà pour la Bible…), quel est le sens d’une référence au Coran ?

Notre République laïque à t’elle le choix de laisser aux religions une autre place que celle de croyances personnelles, inaptes à gérer la société et indésirables dans cette fonction ?
L’islam de France est-il prêt à se contenter de cette place ?

L’histoire nous parle

Il y aura toujours dans notre pays, et particulièrement à notre époque où de nombreux repères deviennent flous, des hommes et des femmes que l’adhésion à un dogme rassure. Mais à l’heure où dans certains pays, des chrétiens remettent leur carte de baptême devant les errements de l’Eglise, je vois mal la France, le pays de la révolution, le pays de Mai 68, le pays qui s’est affranchi de l’emprise de l’église catholique en introduisant la laïcité comme un principe incontournable, se laisser imposer des croyances venues de l’extérieur et par ailleurs sérieusement entachées par leurs dérives.
L’islam ne peut être acceptée et intégrée que par un « Not in my name » clair et une subordination indiscutable aux lois de la République. Tenter de l’imposer, ou en faire une lutte, justifierait de la part du gouvernement les mesures spécifiques de protection que certains réclament aujourd’hui et que la démocratie répugne à employer.

Quant au voile, même le simple hijab, il lui faudra des décennies et un travail en profondeur pour se débarrasser de cette symbolique d’obscurantisme violent et d’oppression, d’autant que l’actualité nous abreuve d’exemples dans ce sens et qu’il reste dans les faits un outil d’asservissement des femmes. Et nier sa portée symbolique en considérant des nombreuses femmes qui ont porté ce vêtement sans contrainte ou sans provocation est inefficace.
D’un côté il serait dommageable d’interdire le port d’une tenue traditionnelle par elle-même bien innocente, mais d’un autre, il serait illusoire d’imaginer que le port d’un tel symbole n’entraine pas méfiance et déconsidération… C’est certainement dommage pour celle à qui la tenue convenait et qui n’en faisait pas un drapeau… mais dans l’état actuel des choses le voile représente ce dont la majorité de la population française ne veut pas, et dans ce sens, dessert la cause de l’Islam et constitue un obstacle à son intégration.




[1] https://www.europe1.fr/societe/port-du-voile-la-liberte-de-choix-nexiste-pas-je-me-fais-invectiver-sur-ma-tenue-non-conforme-3927684
[2] Enquête de Jérôme Fourquet, parue dans Le Point du 19 septembre 2019 : https://boutique.lepoint.fr/ce-que-pensent-les-musulmans-en-france-1408

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