mercredi 4 octobre 2017

L'expérience hurricane













18 septembre 2017

Un jour, tu es en Guadeloupe et tu vis un cyclone. Un méchant, qui s'appelle Maryline (1995). Tu observes le comportement de la maison dans laquelle tu es. Tu subis, le vacarme, les infiltrations d'eau, et puis les lendemains sans eau, sans électricité, sans ravitaillement sûr, et le congélateur qui survit grâce à la glace que tu avais accumulé pour faire du sorbet avec la voisine. Et tu te dis. Si j'avais ma maison à moi, je sais bien comment je la dessinerais. Je pourrais affronter n'importe quel cyclone et ses lendemains.



Et un autre jour, il y a un terrain et des plans  à faire. Alors tu y vas, tu dessines, tu prévois : La citerne d'eau douce, le local enterré pour le groupe électrogène, sous le garage, séparé de la maison avec ses matières inflammables. Les galeries autour de la maison – tu l'as bien vu, elles protègent les murs des pressions de folies et de la vitesse du vent. La ventilation naturelle (qui évite les climatiseurs quand il n'y a pas d'électricité. La base en béton et l'étage en bois – nous sommes aussi en zone sismique et il faut du souple et du léger dans les hauts – mais avec une zone de sécurité bétonnée, pour parer au pire. Les pentes de la toiture, suffisantes pour générer un véritable écoulement même quand la pluie tombe à l'horizontale, mais pas trop pour ne pas générer une pression insupportable par grand vent. Les écoulements des eaux, diamètres, pentes, matériaux… Les fermetures : pas de vitres, nulle part, des volets en bois rouge à fermeture trois point et espar en travers.  Et tu fais aussi  des choix à contre-courant que tout le monde ne comprend pas, comme la charpente pitonnée et pas ferraillée scellée dans le béton (les fers à bétons rouillent dans le bois), la toiture non-jointive, soupape de sécurité pour le toit des fois que le vent ne se crée une ouverture, ne s'engouffre et ne soulève la toiture… (Mais tu es fou ! l'eau va rentrer par là…)



Et puis un jour tu réalises, tu creuses, bétonnes, soudes, scies… Et ton idée existe. Tu es fier de toi et de tes choix. Et puis… pas de cyclone pendant 19 ans. Peu importe, la maison est agréable… pas de piscine, pas de BMW dans le garage, mais elle est sûre. Avec le temps, une inquiétude nait d'un magnifique flamboyant qui fait voute au-dessus du chemin, emmêle ses branches aux lignes électriques non loin de la maison mais il est mal implanté sur le terrain communal, et la commune prévenue depuis deux ans s'en fout.



Et c'est là qu'on t'annonce un test grandeur nature, mais c'est un géant appelé Irma, un monstre même, trop grosse, trop folle, trop dangereuse, pas très raisonnable pour un test. Mais Irma évite et va passer sa rage sur Barbuda et Saint-Martin. Une simple tempête pour ta maison qui en a vu d'autres.



On annonce sa sœur, Maria, plus douce et tu te dis que ça n'est pas le moment, ton île sert de base arrière pour les îles du Nord qui souffrent. Mais tu ne choisis pas. Alors tu te prépares. Avant Maryline, il y a eu Hugo, un autre monstre. On a tenu, on s'est relevé. Alors un petit classe 1 ou 2…

Mais Maria cache son jeu. Ce matin elle annonce qu'elle pourrait bien passer classe 3.
- Eh, c'est juste un test là. On pourrait pas rester mesuré ? Un classe 2 c'était déjà pas mal !
Trop tard, le mauvais temps est déjà sur toi, et on ne t'a pas demandé ton avis. Tu as tout rangé ce qui pouvait s'envoler, tout calfeutré, tout verrouillé. Et Maria se fou de toi, elle s'annonce Classe 4 puis classe 5, des vents de 200 à 250 km/h…
- Oui mais je ne suis pas tout seul, moi si j'échoue, je mouille ma doudou…

Tu laisses une porte ouverte, jusqu'à ce que la nuit tombe et que le vent chasse tellement la pluie qu'il vienne mouiller l'intérieur… puis tu verrouilles.

Il est 22h00, la radio annonce des routes barrées  par des arbres. Il fait nuit et les volets sont fermés. On ne voit pas un cyclone, ce sont des bruits. Des bruits continus. Celui du vent qui passe en force le long de la maison et dans les ramures des arbres. Celui de la pluie projetée violemment sur les tôles de la toiture et sur les murs de bois. Celui des bourrasques qui descendent de la montagne comme une charge, avec un roulement croissant puis attrapent la maison en la secouant jusqu'à la faire trembler dans un vacarme épouvantable. Parfois celui d'une branche lancée à grande vitesse sur le toit ou sur les murs. Et même celui des troncs qui s'abattent près de la maison dans un bruit de tonnerre (le flamboyant !). Celui d'un géant monstrueux soufflant toutes les bougies d'un énorme gâteau avec l'intention de les éteindre toutes du premier coup… quitte à liquéfier le gâteau ! La radio nous dit que le vent culminera vers 2h00 du matin, quand l'œil sera sur la Dominique. D'ici là il va continuer à croitre.

Et si malgré tout mon travail, toutes mes recherches, toute ma réflexion, Maria gagnait ? Elle y met du sien dehors !

Et puis non. Ma doudou doit pouvoir avoir confiance en moi. Quoi qu'il arrive, j'ai fait ce que je pouvais faire de mieux. Il faut dormir. Ça va être long.



19 septembre 2017

Le réveil est saisissant. Quand le vent le permet, je fais le tour de la maison, sans quitter mes efficaces galeries.

Le flamboyant est tombé. La ligne électrique l'a freiné dans sa chute et dévié, une de ses branches est tombée sur 5 mètres de long à 20 cm de la maison. Ça tient du miracle. Si la ligne avait lâché, il aurait probablement détruit une partie de la maison (merci EdF ?)

Autre heureuse coïncidence, l'œil étant passé au sud (sur la Dominique), nous avons eu la partie nord du cyclone, soit les vents les plus forts, mais venant de l'est, la direction des vents dominants habituellement. Ainsi ils n'ont pas pris les tôles à rebrousse-poil et il n'y a pas eu d'infiltration d'eau dans la maison.

La maison est indemne mais le jardin est ravagé, les manguiers ou avocatiers implantés depuis 20 ans sont déracinés. Les citronniers, corossoliers et cerisiers (acérolas) sont couchés, peut-être récupérables. Les autres ont perdus la moitié de leurs branches, quant aux bananiers…

Ça repoussera…, on a récupéré un superbe point de vue sur la baie !

On distingue à peine notre chemin, envahi par les branchages et les arbres. On n'est pas près de sortir. Les voisins viennent se rendre compte. Je vais au bout de chemin, il y a un point de vue sur le bourg… la plupart des toitures ont l'air d'avoir résisté, on circule sur une voie sur la route nationale. Des tronçonneuses ont déjà travaillé.

Avec un voisin, nous commençons à dégager les branchages au coutelas, histoire d'avoir au moins un passage piéton. Les autres nous rejoignent. Bientôt nous sommes une dizaine et nous dégageons tout le chemin… sauf l'énorme tronc du flamboyant qui appuie toujours sur le câble… [1]



Les inondations sont restées moins fortes que pour Maryline et nous ne perdrons  l'eau qu'une trentaine d'heures… Beaucoup de câbles téléphoniques sont tombés, 20% de la population est provisoirement sans électricité.



L'expérience de cette saison cyclonique soulève quelques questions :


1) Nous savons faire des maisons qui résistent aux ouragans, pourquoi n'existe-t-il pas un recueil  de normes anti-ouragan, comme il existe déjà des normes antisismiques rendues obligatoire lors du dépôt du permis de construire ? Elle définirait la pente de la toiture, le lien de la toiture avec la structure de la maison, la présence d'une cellule de confinement, d'une citerne dans la construction, l'équipement du tableau électrique et le l'emplacement qui permettent d'alimenter la maison par groupe électrogène en toute sécurité…  
2) Vu la nature des risques encourus, pourquoi n'existe-t-il pas une sorte de commission chargée de recenser les risques particuliers (comme ce p…. d'arbre qui s'est écrasé "à côté" de notre maison), éventuellement sur signalement des particuliers, et de faire appliquer les mesures de sécurité qui s'imposent. 
3) Lors de l'ouragan Irma, le net a été envahi de complaintes de victimes qui avaient eu très peur et qui avaient beaucoup perdu et pleurer après des aides de la communauté, du gouvernement, voire accuser… Mais ceux qui connaissent Saint-Martin savent qu'il s'agit d'une île exposée aux séismes, donc aux tsunamis, et aux cyclones, donc aux vents forts aux inondations et à la montée des eaux maritimes. Ils savent aussi que sur cette île, tropicale et agréable par temps calme, beaucoup avaient construit (ou louaient) des maisons, les pieds dans l'eau, au niveau de la mer et avec de grandes baies vitrées, terrasse piscine et BMW, mais aucune citerne espace de confinement en hauteur… Peut –être là, faut-il stimuler le bon sens avec une information plus intensive.





[1] Les lecteurs d' "Ouragan sur Bétine", nouvelle de mon livre "La Soulimoune…" présenté ici-même retrouveront l'atmosphère conviviale et l'esprit de solidarité qui peuvent naître d'un évènement fort comme celui-ci.