mardi 25 avril 2017

Les Lepen et les Gogos.




Ça ne vous a peut-être pas frappé mais le deuxième débat (celui à 11, du 4 avril) nous a offert quelques archétypes de communication en politique. Ceux qui ont suivi  ce débat ont entendu à plusieurs reprises Marine Lepen se plaindre d'être désavantagée dans ce débat. Et pourtant, au final, c'est elle qui bénéficié du plus long temps de parole. C'est la seule à avoir dépassé les 19 minutes… Autrement dit, la plus favorisée n'a pas arrêté de se plaindre… 
Et ça marche ! Interrogez n'importe quel militant FN et il vous assurera que sa candidate a été défavorisée par les médias, et il n'aura aucune idée des chiffres… et cela accentuera l'idée que le "système" veut l'empêcher de parler, qu'elle dévoilerait des vérités qui dérangent !

La communication est déterminante !

Depuis longtemps je défends l'idée (difficile à accepter mais évidente) que le vote est un acte affectif, émotionnel et non rationnel. Sinon comment expliquer que les américains aient élu un Trump pourtant convaincu de mensonges - souvent énormes -  à chacune de ses interventions... (ou que les démocrates aient élu sa rivale truffée de casseroles !). En France c'est pareil ! Sinon comment Emmanuel Macron aurait-il eu des électeurs et des intentions de votes… avant d'avoir un programme ! Et c'est vrai pour tous les autres, ce qu'inspire leur personnage a plus de poids que leur crédibilité.

La plupart des gens votent sans connaître le programme de leur candidat. Certains n'en connaissent qu'une ou deux lignes marquantes, et très peux sont en mesure de comprendre la portée réelle et le réalisme ou la crédibilité de ces mesures. Ecoutez les arguments des militants lors des reportages : "c'est quelqu'un de bien, lui au moins ; il n'a pas d'affaires au cul ; moi je crois en lui ; les autres c'est pas possible…". Jamais ou presque une position de fond.
Churchill, qui n'était pas réputé pour son sens des nuances, avait une phrase lapidaire pour dénoncer cette ambiguïté du suffrage universel :
«La meilleure critique de la démocratie est un entretien de cinq minutes avec un électeur moyen»

Dans ce contexte un coup de bluff comme celui de Marine Lepen, aussi grossier soit-il, interpelle.

Dans mon livre "2017, l'illusion démocratique" je montre que le premier à avoir compris l'importance et les grands principes de la communication en politique  aura été François Mitterrand. C'est aussi le premier à avoir mis en pratique les méthodes classiques de manipulation enseignés dès cette époque-là dans certaines universités américaines.

La méthode Lepen

Rien d'aussi sophistiqué dans la méthode Lepen, mais le père et la fille utilisent à fond, un seul artifice, toujours le même. La technique consiste à affirmer avec véhémence comme une évidence, quelque chose que leurs interlocuteurs auront des difficultés à contrecarrer dans l'immédiat (difficile de brandir le bilan final des temps de parole… en cours d'émission).
L'émission "Arrêt sur image"  avait, du temps où elle était diffusée à la télé, mis en évidence cette technique. Le père Lepen pouvait affirmer dans une même tirade : que la France avait un déficit croissant (ce qui est vrai), que notre industrie perdait son rang mondial (ce qui est vrai) et que les étrangers étaient responsables du chômage (ce qui est faux : voir mon post "l'immigration… pour les nuls"). Trois affirmations anxiogènes auxquelles on ne peut répondre que par une longue démonstration chiffrée, forcement beaucoup moins percutante. L'évidence des deux premières amène l'acceptation de la troisième… surtout si on n'a pas la patience, les outils ou la culture d'aller vérifier par soi-même. Mais le principe est de faire appel à l'émotionnel plutôt qu'à la réflexion.

Pas étonnant dans ce contexte que cette argumentation mensongère porte essentiellement sur le public le moins éduqué (encore une fois, le Front National est le parti dont l'électorat a le moins haut niveau d'éducation…), et donc le moins apte à analyser et donc le plus crédule… De Montaigne à Mandela, ils sont  nombreux à l'avoir souligné que c'est l'éducation qui permets aux peuples de s'émanciper, le FN l'a bien compris et le met en pratique… à sa façon

Mais au-delà de ce moyen relativement basique, un tel stratagème,  c'est aussi appliquer une des grandes méthodes de manipulation en politique, telle qu'elle a été largement en son temps dénoncée par Noam Chomsky et enseignée dans les écoles et universités qui font de la communication politique, appelée le PRS, "problème-réaction-solution". On crée un problème (fictif), pour susciter une réaction émotionnelle (le plus souvent la peur), et on se présente comme la solution (ce qui est d'autant plus facile que le problème est fictif !), et on se présente comme "la seule solution" !
Quand on est au pouvoir on met en place une pseudo solution de préférence spectaculaire (comme le raccompagnement à la frontière de quelques malheureux menottés)…
Ça peut le faire aussi avec un problème réel dont la solution a déjà été mise en œuvre par d'autres. Comme par exemple alerter sur les pesticides quand l'Europe a déjà pris des mesures, et puis inviter les caméras à vous filmer en train d'enlever trois aérosols des rayons d'une supérette… (mais il faut mieux bien penser son coup sous peine de sombrer dans le ridicule…).
Nicolas Sarkozy, Manuel Vals, Ségolène Royale ont eux aussi beaucoup utilisé cette méthode. Par exemple quand… (à vous de faire un petit effort de mémoire maintenant)


vendredi 7 avril 2017

Et le deuxième tour de la présidentielle sera…



Un deuxième tour Macron-Mélenchon… ça vous paraît improbable ? Je ne joue pas à Madame Irma, mais certaines réalités bien concrètes donnent à réfléchir…

La bascule des favoris et des stratégies

Au début, C'est Marine Le Pen qui était favorite, et ça arrangeait bien les autres, les "gros" candidats, ceux qui pensent avoir une chance d'être élus. Comme aucun d'entre eux n'est enthousiasmant et n'est susceptible de réunir sur son nom ne serait-ce qu'un quart des voix, ils espéraient tous que, face à des rivaux aussi impopulaires qu'eux, leur petit électorat serait suffisant pour être au second tour face à elle, et que le "sursaut républicain" les porterait vaille que vaille au pouvoir. L'ennemi n'était donc pas la favorite, mais le potentiel second. C'était l'époque du "tous contre Macron", celle du premier débat à 5.

Seulement  voilà, les attaques (parfois pertinente mais souvent sordides) contre Emmanuel Macron par des adversaires peu crédibles, n'ont pas porté. Son programme est parfois discutable et sent un peu l'improvisation mais il est brillant (et l'a encore démontré hier soir), charismatique et le flot de ralliement qu'il récupère montre, à défaut d'une vraie majorité, qu'il est jugé (le plus) crédible par ses pairs.

En même temps, Marine Le Pen, donnée à plus de 30% il y a quelques mois, perd du terrain. Son programme est inconsistant (voir mon post du 29 mars dernier), elle se montre peu performante dans les débats et les interviews, son argumentation se réduit souvent à hausser le ton, ironiser ou affirmer avec arrogance, ce qui plait à son noyau dur (majoritairement composé des classes les moins éduquées de la population) mais peine à séduire au-delà. Et surtout les "affaires" montrent un parti magouilleur, loin de l'alternative "mains propres" pour laquelle il a voulu se faire passer.

Du coup progressivement la hiérarchie s'inverse. Les différents candidats n'ayant pas pu contenir Emmanuel Macron, doivent maintenant attaquer Marine Le Pen s'ils veulent espérer une place au soleil (au second tour). Et le "tous contre Macron" du premier débat, est devenu le "tous contre Le Pen" au deuxième débat. Dans un même temps, la justice – objective et au dessus de tous soupçons ? – accélère les procédures contre le FN et en redécouvre d'autres (voir mon post du 27 mars dernier sur la manipulation). Il y a peu de chance que ce mouvement s'inverse…

Pendant ce temps Mélenchon grappille. Il n'a pas de concurrent sérieux à gauche. Benoit Hamon en délicatesse avec la majorité de son parti perd en crédibilité à mesure que les sondages entérinent son échec. Comme Jean Luc Mélenchon refrène son côté "grande gueule qui veut faire le buzz par son agressivité", il gagne en crédibilité. La déconsidération de nos hommes politiques rejaillissant sur la 5ème république, sont projet de 6ème peut paraître à certains plus porteur d'espoirs que les solutions éculées de ses concurrents.
Fillon a su se maintenir à flot malgré les "affaires", mais son argumentation est épuisée, il n'a plus de marge de progression.

Autrement dit, une évolution probable à attendre dans ces prochaines semaines est de voir Mélenchon et Le Pen se rapprocher des 20%, l'un en montant, l'autre en descendant. Jusqu'à se croiser ?

Le poids des indécis

Cela contredit les prédictions de Serge GALAM (chercheur au CNRS,) qui voit la victoire possible de Marine Le Pen, mais sa théorie mathématique est intéressante dans la mesure où elle différentie les intentions de votes fermes et les "hésitantes" particulièrement nombreuses dans ce contexte-ci. Il est vrai que c'est Marine Le Pen qui a le plus gros noyau dur et le plus d'intentions fermes, mais ce noyau seul ne suffit pas à lui assurer une présence au deuxième tour.

N'oublions pas qu'il y a des moyens bien plus discrets et plus subtils de manipuler une élection que d'utiliser une justice peu sourcilleuse à des fins partisanes, que plus il y a d'indécis plus ces méthodes sont efficaces. Et que c'est dans les quelques jours qui précèdent une élection que certaines de ces méthodes sont les plus puissantes. Alors soyez observateurs. si vous voulez en savoir plus sur le sujet, il y a toujours mon livre "2017, l'illusion démocratique" présenté à côté...