Ça ne vous a peut-être pas frappé mais le deuxième débat
(celui à 11, du 4 avril) nous a offert quelques archétypes de communication en
politique. Ceux qui ont suivi ce débat
ont entendu à plusieurs reprises Marine Lepen se plaindre d'être désavantagée
dans ce débat. Et pourtant, au final, c'est elle qui bénéficié du plus long
temps de parole. C'est la seule à avoir dépassé les 19 minutes… Autrement dit,
la plus favorisée n'a pas arrêté de se plaindre…
Et ça marche ! Interrogez
n'importe quel militant FN et il vous assurera que sa candidate a été
défavorisée par les médias, et il n'aura aucune idée des chiffres… et cela
accentuera l'idée que le "système" veut l'empêcher de parler, qu'elle
dévoilerait des vérités qui dérangent !
La communication est
déterminante !
Depuis longtemps je défends l'idée (difficile à accepter
mais évidente) que le vote est un acte affectif, émotionnel et non rationnel.
Sinon comment expliquer que les américains aient élu un Trump pourtant
convaincu de mensonges - souvent énormes - à chacune de ses interventions... (ou que les démocrates
aient élu sa rivale truffée de casseroles !). En France c'est pareil ! Sinon
comment Emmanuel Macron aurait-il eu des électeurs et des intentions de votes…
avant d'avoir un programme ! Et c'est vrai pour tous les autres, ce qu'inspire
leur personnage a plus de poids que leur crédibilité.
La plupart des gens votent sans connaître le programme de
leur candidat. Certains n'en connaissent qu'une ou deux lignes marquantes, et
très peux sont en mesure de comprendre la portée réelle et le réalisme ou la crédibilité
de ces mesures. Ecoutez les arguments des militants lors des reportages :
"c'est quelqu'un de bien, lui au moins ; il n'a pas d'affaires au cul ;
moi je crois en lui ; les autres c'est pas possible…". Jamais ou presque
une position de fond.
Churchill, qui n'était pas réputé pour son sens des nuances,
avait une phrase lapidaire pour dénoncer cette ambiguïté du suffrage universel
:
«La meilleure critique de la démocratie est un entretien
de cinq minutes avec un électeur moyen»
Dans ce contexte un coup de bluff comme celui de Marine
Lepen, aussi grossier soit-il, interpelle.
Dans mon livre "2017, l'illusion démocratique" je
montre que le premier à avoir compris l'importance et les grands principes de
la communication en politique aura été
François Mitterrand. C'est aussi le premier à avoir mis en pratique les
méthodes classiques de manipulation enseignés dès cette époque-là dans
certaines universités américaines.
La méthode Lepen
Rien d'aussi sophistiqué dans la méthode Lepen, mais le père
et la fille utilisent à fond, un seul artifice, toujours le même. La technique
consiste à affirmer avec véhémence comme une évidence, quelque chose que leurs
interlocuteurs auront des difficultés à contrecarrer dans l'immédiat (difficile
de brandir le bilan final des temps de parole… en cours d'émission).
L'émission "Arrêt sur image" avait, du temps où elle était diffusée à la
télé, mis en évidence cette technique. Le père Lepen pouvait affirmer dans une
même tirade : que la France avait un déficit croissant (ce qui est vrai), que
notre industrie perdait son rang mondial (ce qui est vrai) et que les étrangers
étaient responsables du chômage (ce qui est faux : voir mon post
"l'immigration… pour les nuls"). Trois affirmations anxiogènes
auxquelles on ne peut répondre que par une longue démonstration chiffrée,
forcement beaucoup moins percutante. L'évidence des deux premières amène
l'acceptation de la troisième… surtout si on n'a pas la patience, les outils ou
la culture d'aller vérifier par soi-même. Mais le principe est de faire appel à
l'émotionnel plutôt qu'à la réflexion.
Pas étonnant dans ce contexte que cette argumentation
mensongère porte essentiellement sur le public le moins éduqué (encore une
fois, le Front National est le parti dont l'électorat a le moins haut niveau d'éducation…),
et donc le moins apte à analyser et donc le plus crédule… De Montaigne à Mandela,
ils sont nombreux à l'avoir souligné que
c'est l'éducation qui permets aux peuples de s'émanciper, le FN l'a bien
compris et le met en pratique… à sa façon
Mais au-delà de ce moyen relativement basique, un tel
stratagème, c'est aussi appliquer une
des grandes méthodes de manipulation en politique, telle qu'elle a été
largement en son temps dénoncée par Noam Chomsky et enseignée dans les écoles
et universités qui font de la communication politique, appelée le PRS, "problème-réaction-solution".
On crée un problème (fictif), pour susciter une réaction émotionnelle (le plus
souvent la peur), et on se présente comme la solution (ce qui est d'autant plus
facile que le problème est fictif !), et on se présente comme "la seule
solution" !
Quand on est au pouvoir on met en place une pseudo solution
de préférence spectaculaire (comme le raccompagnement à la frontière de
quelques malheureux menottés)…
Ça peut le faire aussi avec un problème réel dont la
solution a déjà été mise en œuvre par d'autres. Comme par exemple alerter sur
les pesticides quand l'Europe a déjà pris des mesures, et puis inviter les
caméras à vous filmer en train d'enlever trois aérosols des rayons d'une supérette…
(mais il faut mieux bien penser son coup sous peine de sombrer dans le
ridicule…).
Nicolas Sarkozy, Manuel Vals, Ségolène Royale ont eux aussi
beaucoup utilisé cette méthode. Par exemple quand… (à vous de faire un petit
effort de mémoire maintenant)
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