Une petite bourgade des Alpes, samedi matin. J'occupe le
siège passager d'une petite Clio… Rond-point
clef du bourg, il y a des gilets-jaunes, la circulation est ralentie. Entre chaque
voiture, ils traversent lentement sur le passage clouté… un, deux, ou plus…
Arrive notre tour, l'amie qui conduit avance
prudemment. Une femme à gilet s'engage dans le passage clouté, s'arrête un instant au
milieu, nous défie du regard, nous toise, puis redémarre. Il y a des policiers,
un passage piéton ne peut être un lieu d'arrêt, il faut jouer le jeu. Je la
regarde remonter sur le trottoir puis retraverser devant, nous. Elle fait quoi
dans la vie ? employée de banque ? Caissière ? instit ? Elle obéit toute la
semaine à son chef, ou à l'inspecteur… Là elle existe, elle a un pouvoir grâce
au groupe, elle jubile… elle en rajoute même, tant que j'en suis un instant mal
à l'aise… gênée pour elle. D'autres s'engagent. Nous n'avons pas mis de gilet
derrière le pare-brise, nous étions justes partis faire quelques courses… pas
la guerre.
Une autre femme avec une pancarte traverse et s'approche de
la voiture. Elle hurle "klaxonnez !". Si on veut passer il faut penser comme eux…
ou l'afficher, klaxonner avec un gilet derrière le pare-brise… Pas de contact,
mais la tension est palpable.
En théorie, ça n'est pas à nous qu'ils en veulent. Nous
sommes comme eux à subir la baisse du pouvoir d'achat, et les difficultés du
moment… des victimes de ce qu'ils sont supposés dénoncer. Mais l'émulation de
groupe est telle que la rationalité n'a pas sa place. Ceux qui s'opposent ici sont
du même bord, veulent tous la même chose… en théorie.
Je pense un instant à cette femme bloquée par une autre femme en gilet jaune,
la semaine derrière alors qu'elle emmenait son gosse se faire soigner,
bousculée par ce groupe menaçant, elle s'est affolé, a démarré, a renversé son
agresseuse. L'agresseuse est morte, alors la presse en a fait une victime, et
c'est la femme agressée qui est devenue la coupable. Elle n'avait pourtant rien
provoqué, ni personne…
Je pense à ce collègue qui s'est fait défoncer la portière
de son véhicule pourtant à l'arrêt, alors qu'il était descendu discuter avec
eux…
Je pense à toutes ces images d'agressions et de violence,
parues dans la presse (certainement pas neutre) mais aussi les réseaux sociaux
pas (pas forcément plus objectifs, mais des deux bords)…
Il y a une longue queue derrière nous avec des gens qui
klaxonnent (partisans, contestataires ?)… ils finissent par nous laisser passer.
Le droit de grève, et celui de manifester sont
fondamentaux à la notion de démocratie.
Le droit de blocage, le droit de rendre plus victimes ceux qui sont déjà victimes,
de restreindre la liberté des autres sans la légitimité de la loi n'existe dans
aucune démocratie.
Il ont quelques bonnes raisons de manifester et il ne peut y avoir de délit d'opinion, et ils le
revendiquent… mais seulement pour eux ! Ils ne supportent pas l'opinion des autres, ils ne
reconnaissent pas ce même droit à ceux qui ne sont pas avec eux.
Ce soir ils rentreront chez eux, en essayant de se persuader
et de persuader leur entourage qu'en ayant bafoué toutes les lois et tous les
principes de la démocratie, ils l'ont défendue ; en essayant de se persuader
qu'en se regroupant pour menacer les gens, ils ont fait preuve de courage ;
qu'en s'en prenant aux autres victimes des problèmes qu'ils prétendent
dénoncer, ils ont avancé vers la solution...
En quittant le rond-point je me dis que j'ai aussi envie de
me révolter... me révolter contre tous ceux qui abusent de leur position pour nier
les droits fondamentaux des autres... : les politiciens élus par le peuple et qui
défendent d'autres intérêts, les hommes qui abusent sexuellement des plus
faibles, les gilets-jaunes…
Ceux qui nous gouvernent me font peur tant ils sont
déconnectés de la réalité. Ceux qui jouent à les contester me font peur tant
leurs actions, révèlent un besoin d'exister et de nombreuses frustrations et la
manipulation de ceux qui se sont fait évincé de la scène politique, bien plus
qu'un quelconque combat politique réfléchi.
En rentrant chez moi, je me dis que les pires horreurs de
notre histoires, tous les fascismes se sont appuyés sur une foule en colère
affranchie de morale parce que rassurée par son nombre, et méprisante des
autres et de leurs droits. Ils portaient des chemises, grises, noires ou brunes…
des gilets jaunes ?
Je connais le regard arrogant de ceux qui s'autorisent à
s'en prendre aux autres par la violence parce qu'ils se donnent l'alibi d'une
cause et d'un groupe. Je l'ai vu traverser sur un passage clouté.
Il ne leur manque qu'un leader qui ne se soit pas encore
décrédibilisé
Marine, Laurent ou Nicolas sont hors jeu, mais il en
suffirait d'un autre, un peu plus charismatique…