mercredi 8 novembre 2017

Harcèlement et délation




… et les victimes ?

Il y a des points communs entre le viol brutal avec contrainte par la force, celui poisseux des chambres d'hôtel où un homme use de sa position pour obtenir des faveurs sexuelles, ou la main baladeuse qui compte sur la peur du scandale dans un lieu public pour jouir d'une sorte d'impunité.

Le premier, c'est cette sorte de "droit d'usage", le droit que se donne le harceleur d'utiliser sa victime pour son usage personnel, comme on le ferait d'un objet, d'un animal, ou d'un esclave, sans se préoccuper de son consentement, sans considération pour la personne qu'est la victime. Et cette deshumanisation constitue une humiliation inacceptable pour celle ou celui qui la subi.

Le second, vient du fait qu'à un moment du méfait, la victime est amenée à céder, soit par impuissance sous la contrainte, soit par peur, des conséquences, du scandale. C'est même là-dessus que compte le violeur, qui use toujours d'une forme de brutalité pour amener sa victime à penser un bref instant qu'il n'y a pas d'autre issue. Et cette capitulation, qui n'est pas une acceptation mais qui y en a les apparences, va entraîner chez la victime un indélébile sentiment de culpabilité et bien sûr de honte. C'est cette honte qui va rendre extraordinairement cruelles les remarques du style "vous n'étiez pas un peu consentante ? vous ne l'avez pas un peu cherché ? " ou toute allusion dans ce sens.

Le traumatisme physique, le sentiment de salissure, l'humiliation, le sentiment de culpabilité, la honte… On comprend qu'il soit si difficile aux victimes d'une telle agression d'en parler… et combien la parole des victimes doit être protégée…


Alors comment peut-on imaginer qu'une femme ayant subi une telle agression et qui, pour toutes ces raisons et d'autres encore, s'est trouvée incapable d'en parler à ses proches, et  à plus forte raison dans un commissariat, veuille s'exposer sur la place publique derrière un hashtag comme #dénoncetonporc ?

Malheureusement l'utilisation habituelle des réseaux sociaux montre qu'un tel hashtag ouvre grandes les portes à celles moins scrupuleuses (et pas victimes !) qui verront là l'occasion de se venger de leur ex, de leur patron, de leur voisin (qui a refusé leurs avances ?), de tout mâle dont il devient si facile de détruire la vie… Et c'est sans compter sur celles prêtes à tout pour occuper l'attention pendant un moment (et la télé-réalité montre qu'elles sont nombreuses et vraiment prête à n'importe quoi !), celles qui sont tellement fière d'annoncer que les hommes jettent encore sur eux des regards concupiscents. Ou encore celles plus fragiles, et donc en souffrance, qui assument mal leur sexualité et perturbées par ces scandales finissent par se sentir agressées quand un homme leur dit bonjour dans un couloir…

Ce qui est évident c'est que les vraies victimes craignent de s'exposer alors que la plupart des autres catégories ci-dessus n'attendent que ça. Il ne faut pas être clairvoyant pour deviner quelles seront les principales utilisatrices de ce hashtag.
On peut aussi prévoir la suite : procès en diffamation et règlements de compte écœurants.
Et quand la bombe ainsi allumée explosera, les quelques malheureuses qui auront cru trouver une opportunité d'expression de leur détresse se verront entrainées une seconde fois dans la boue et enfoncées dans leur douleur…


Bêtise effarante, hypocrisie malsaine ? La personne à l'initiative de ce hashtag délatoire, s'est offert un buzz  un coup de projecteur sur elle-même, mais n'a prévu aucune protection pour les victimes qui se hasarderaient à l'utiliser, ni aucun filtre des utilisations qu'on peut en faire. Comment peut-on prétendre que ce genre d'initiative pourrait aider des victimes de harcèlement...

Alors que l'affaire Weinstein pourrait être une opportunité de libérer la parole des victimes de harcèlement, au-delà du monde du cinéma, ce #denoncetonporc contribuera évidemment à la décrédibiliser.

A l'inverse, j'ai beaucoup de respect pour Asia Argento, qui dans son témoignage reconnait "avoir pensé à sa carrière…". Il faut beaucoup de courage pour un tel aveu qui lui amènera certainement quelques quolibets et une suspicion hypocrite d'une forme de complicité… Mais en même temps, cet aveu crédibilise totalement son témoignage, ne diminue en rien la faute  de son agresseur, et démontre l'abus de pouvoir, circonstance aggravante d'une telle agression.

Même si j'en condamne fermement les effets, j'ignore l'intention réelle de l'instigatrice de ce hashtag nauséabond, mais il est fréquent qu'un militantisme borné, dont les acteurs cherchent à être les héros conduise à des actions contre-productives.

Il y a bien longtemps, Malcom X a pensé que la meilleure façon de lutter contre le racisme des blancs envers les noirs était d'instaurer un racisme envers les blancs… Jusqu'à ce qu'il se rende compte que cette forme de militantisme servait l'égo de militants mais pas sa cause.

On ne réduit pas la haine par la haine, la saleté par la saleté, les clichés par des clichés…

Les causes importantes, celles des gens qui souffrent, demandent de l'écoute, de la tolérance, de la compréhension, de l'exemplarité, de la compassion, de la réflexion… et des actions en cohérence avec les valeurs revendiquées.