… et les victimes ?
Il y a des points communs entre le viol brutal avec
contrainte par la force, celui poisseux des chambres d'hôtel où un homme use de
sa position pour obtenir des faveurs sexuelles, ou la main baladeuse qui compte
sur la peur du scandale dans un lieu public pour jouir d'une sorte d'impunité.
Le premier, c'est cette sorte de "droit d'usage",
le droit que se donne le harceleur d'utiliser sa victime pour son usage
personnel, comme on le ferait d'un objet, d'un animal, ou d'un esclave, sans se
préoccuper de son consentement, sans considération pour la personne qu'est la
victime. Et cette deshumanisation constitue une humiliation inacceptable pour celle
ou celui qui la subi.
Le second, vient du fait qu'à un moment du méfait, la victime
est amenée à céder, soit par impuissance sous la contrainte, soit par peur, des
conséquences, du scandale. C'est même là-dessus que compte le violeur, qui use
toujours d'une forme de brutalité pour amener sa victime à penser un bref
instant qu'il n'y a pas d'autre issue. Et cette capitulation, qui n'est pas une
acceptation mais qui y en a les apparences, va entraîner chez la victime un
indélébile sentiment de culpabilité et bien sûr de honte. C'est cette honte qui
va rendre extraordinairement cruelles les remarques du style "vous n'étiez
pas un peu consentante ? vous ne l'avez pas un peu cherché ? " ou toute
allusion dans ce sens.
Le traumatisme physique, le sentiment de salissure,
l'humiliation, le sentiment de culpabilité, la honte… On comprend qu'il soit si
difficile aux victimes d'une telle agression d'en parler… et combien la parole
des victimes doit être protégée…
Alors comment peut-on imaginer qu'une femme ayant subi une
telle agression et qui, pour toutes ces raisons et d'autres encore, s'est trouvée
incapable d'en parler à ses proches, et
à plus forte raison dans un commissariat, veuille s'exposer sur la place
publique derrière un hashtag comme #dénoncetonporc ?
Malheureusement l'utilisation habituelle des réseaux sociaux
montre qu'un tel hashtag ouvre grandes les portes à celles moins scrupuleuses
(et pas victimes !) qui verront là l'occasion de se venger de leur ex, de leur
patron, de leur voisin (qui a refusé leurs avances ?), de tout mâle dont il
devient si facile de détruire la vie… Et c'est sans compter sur celles prêtes à
tout pour occuper l'attention pendant un moment (et la télé-réalité montre qu'elles
sont nombreuses et vraiment prête à n'importe quoi !), celles qui sont
tellement fière d'annoncer que les hommes jettent encore sur eux des regards
concupiscents. Ou encore celles plus fragiles, et donc en souffrance, qui
assument mal leur sexualité et perturbées par ces scandales finissent par se
sentir agressées quand un homme leur dit bonjour dans un couloir…
Ce qui est évident c'est que les vraies victimes craignent
de s'exposer alors que la plupart des autres catégories ci-dessus n'attendent
que ça. Il ne faut pas être clairvoyant pour deviner quelles seront les
principales utilisatrices de ce hashtag.
On peut aussi prévoir la suite : procès en diffamation et
règlements de compte écœurants.
Et quand la bombe ainsi allumée
explosera, les quelques malheureuses qui auront cru trouver une opportunité
d'expression de leur détresse se verront entrainées une seconde fois dans la
boue et enfoncées dans leur douleur…
Bêtise effarante, hypocrisie malsaine ? La personne à
l'initiative de ce hashtag délatoire, s'est offert un buzz un coup de projecteur sur elle-même, mais n'a
prévu aucune protection pour les victimes qui se hasarderaient à l'utiliser, ni
aucun filtre des utilisations qu'on peut en faire. Comment peut-on prétendre
que ce genre d'initiative pourrait aider des victimes de harcèlement...
Alors que l'affaire Weinstein pourrait être une opportunité
de libérer la parole des victimes de harcèlement, au-delà du monde du cinéma,
ce #denoncetonporc contribuera évidemment à la décrédibiliser.
A l'inverse, j'ai beaucoup de respect pour Asia Argento, qui
dans son témoignage reconnait "avoir pensé à sa carrière…". Il faut
beaucoup de courage pour un tel aveu qui lui amènera certainement quelques quolibets
et une suspicion hypocrite d'une forme de complicité… Mais en même temps, cet
aveu crédibilise totalement son témoignage, ne diminue en rien la faute de son agresseur, et démontre l'abus de
pouvoir, circonstance aggravante d'une telle agression.
Même si j'en condamne fermement les effets, j'ignore
l'intention réelle de l'instigatrice de ce hashtag nauséabond, mais il est
fréquent qu'un militantisme borné, dont les acteurs cherchent à être les héros
conduise à des actions contre-productives.
Il y a bien longtemps, Malcom X a pensé que la meilleure
façon de lutter contre le racisme des blancs envers les noirs était d'instaurer
un racisme envers les blancs… Jusqu'à ce qu'il se rende compte que cette forme
de militantisme servait l'égo de militants mais pas sa cause.
On ne réduit pas la haine par la
haine, la saleté par la saleté, les clichés par des clichés…
Les causes importantes, celles des
gens qui souffrent, demandent de l'écoute, de la tolérance, de la compréhension,
de l'exemplarité, de la compassion, de la réflexion… et des actions en
cohérence avec les valeurs revendiquées.
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