samedi 10 juillet 2021

Les hypocrites de la retraite

 


Jean Tirole et Olivier Blanchard viennent de remettre à Emmanuel Macron le document de commande sur lequel il a besoin de s’appuyer pour essayer de faire passer une réforme des retraites avant la fin de son mandat. Sans surprise, celui-ci recommande une augmentation du temps de cotisation et donc un recul de l’âge de la retraite.

A priori cette mesure semble mathématiquement pertinente. Mais à y regarder de plus près elle est d’une totale hypocrisie. Dans la réalité, si 2 sur 3 des 50-64 ans travaillent, ce taux tombe à seulement 1 sur 3 si on ne considère que les 60-64 ans1.

Autrement dit, à l’âge de prendre la retraite, seulement un senior sur 3 a du travail ! Et si on retire de cette minorité, les fonctionnaires, les professions libérales… et ceux dont l’emploi est plus ou moins pérennisé et qui ne cotisent pas, pour la plupart, pas au régime général… on tombe à quelques pourcents…

Ceux qui se sont confrontés au marché du travail le savent, un chômeur de plus de 55 ans a très peu de chance de retrouver du travail et pratiquement aucune après 602. La plupart des CV sont aujourd’hui sous forme numérique et sont triés à la réception par un algorithme qui élimine les candidats de plus de 55 ans (voire les plus de 45 ans) dans la plupart des cabinets de recrutement, avant même qu’un être humain ne les lise…


Alors pourquoi prétendre qu’on pourrait équilibrer l’assurance retraite avec les cotisations de salariés du privé de plus de 62 ans… population quasi inexistante ?

C’est que l’allongement (même théorique) du temps de travail a une autre conséquence : il rend bien plus difficile le cumul du nombre de trimestres nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein (auquel beaucoup n’arrivent qu’à l’aide de petits boulots en fin de carrière). Autrement dit le recul de l’âge de retraite, a pour véritable but de multiplier les postulants à la retraite qui n’auront plus droit à un taux plein et toucheront une retraite fortement diminuée…

L’équilibrage du régime de retraite par le recul de l’âge de la retraite et l’augmentation de la durée de cotisation, ne peut en aucun cas reposer sur l’espoir d’encaisser plus de cotisations, mais se fera uniquement par l’appauvrissement violent du niveau des retraites pour une grande partie de la population non protégée : les salariés du privé, la population qui crée la richesse du pays.

Tirole et Blanchard, eux, n’ont pas d’inquiétude !

 

Et pourtant la réforme des retraites est nécessaire et pourrait, sur de nombreux points être bénéfique !

Il suffit de s’y confronter pour comprendre. Notre système de retraite est opaque, extrêmement gourmand en frais de fonctionnement et un des plus injustes du monde.

 

Le foutoir opaque et coûteux.

Dans le meilleur des cas, au moment de prendre votre retraite vous serez confrontés à l’Assurance Retraite mais aussi à la Caisse Régionale de retraite, à Info-retraite (inutile et qui vous envoie par mail, des liens d’information de type « Error 404 ») et AGIRC-ARCO (organisme qui délègue ses fonctions à des sociétés privées !)

La multiplicité des organismes qui multiplient les traitements identiques du même dossier n’a aucun intérêt pour l’état (la retraite complémentaire, quand elle est obligatoire, n’est qu’une variante de la retraite de base et dont n’a aucune raison d’être traitée différemment et encore moins en doublon par un autre organisme !). La principale difficulté du personnel pléthorique de ces organismes est de gérer les liens avec les autres organismes !

Pour le prétendant à la retraite c’est la galère et l’obscurantisme organisé. Il est parfois reçu aimablement mais n’obtient jamais de réponse à ses questions, chacun se renvoyant la balle.

Vous prenez une retraite avant de pouvoir bénéficier d’un taux plein et craignez un montant fortement réduit ? L’Assurance Retraite ne vous donnera que le montant de votre retraite de base. Pour l’assurance complémentaire, l’organisme concerné vous répondra qu’il lui faut le dossier de l’assurance retraite, qui ne lui communiquera que… quand vous aurez signé et accepté la retraite réduite. Autrement dit pour connaître le montant de votre retraite, il vous faut d’abord l’accepter, sans en connaître le montant. C’est non seulement scandaleux, mais une forme de chantage contestable légalement.


L’arnaque des délégations…

Pire ! des organismes officiels payés par nos cotisations comme l’AGIRC-ARCO délèguent le travail à des sociétés d’assurances privées. Dans mon cas : AG2R. Pendant des mois, cet organisme s’est contenté de me poser une à une des questions inutiles3, sur mon dossier pourtant finalisé et agréé par l’Assurance Retraite, sans rien verser. Le temps ainsi gagné leur rapporte gros. Le placement à leur profit de sommes apparemment faibles (100 000 nouveaux retraités à 15 ou 20 000 euros/an) pendant un an de retard que leur permettent ces manœuvres, leur rapporte plusieurs centaines de millions d’euros !


Et de toutes les caisses de retraite complémentaires en particulier, génératrices d’injustices.

Dans son premier projet le gouvernement Macron, proposait la suppression des 42 caisses de retraite complémentaire. Tous ces organismes sont aussi coûteux qu’inutiles. Leurs bénéfices (ce sont des organismes privés) et leurs frais de fonctionnement (alors qu’ils se contentent de retraiter le dossier déjà traité par l’Assurance Retraite) sont entièrement financés par vos cotisations ! Alors qu’elles ne sont justifiées par rien, qu’elles coûtent au gouvernement et coûtent aux cotisants. Voilà une excellente opportunité de faire des économies (bien plus qu’en rallongeant la durée de cotisation!).

Ces caisses sont de trois catégories :

D’abord, il y a celles formées par des acteurs de la finance (banques, assurances…) qui ont obtenu des précédents gouvernements, une délégation de service public sur une partie de la cagnotte que représentent les retraites. Ce qu’était le RSI pour l’assurance maladie4. Leur unique raison d’être est de se sucrer sur vos retraites, au besoin, en trichant sur les montants accordés ou les délais de paiement. Citons pour l’exemple la tristement célèbre Cipav, dont la Cour des comptes elle-même mentionne qu’elle est en litige avec plus de la moitié de ses adhérents (adhérents contraints !5). Ces organismes coûteux et le plus souvent escrocs pénalisent fortement notre système de retraite sans aucun intérêt autre que le leur !

Les caisses des professions à hauts revenus, comme les Notaires, les avocats, les pilotes, etc... Ces caisses n’ont pour seul objectif que d’éviter à ces professionnels privilégiés de cotiser au régime général et de participer à la solidarité nationale, pourtant fondement de notre système social ! On comprend la colère du représentant des syndicats d’avocats à qui on demande de cotiser pour les gueux que nous sommes !… L’état propose à ces professions de cotiser sur une portion plafonnée de leur salaire en vue d’une retraite elle aussi plafonnée. Et libre à eux de thésauriser leurs excédents budgétaires dans des caisses privées. D’un point de vue démocratique, ça me paraît être le minimum exigible !

Enfin il y a les caisses des régimes spéciaux, dénis de démocratie. Avec beaucoup d’hypocrisie, les syndicats qui ont obtenu ces privilèges – uniquement pour les professions dont ils peuvent utiliser le pouvoir de blocage – nous expliquent que les contraintes particulières de certaines professions justifient des compensations en termes de revenus ou de retraite. Vrai ! Un travailleur qui travaille de nuit une grande partie de sa carrière peut légitimement demander de partir à la retraite plus tôt. Mais alors cette règle doit être nationale – et non pas corporatiste – et s’appliquer à tous ceux qui travaillent de nuit... même s’ils intéressent moins les centrales syndicales ! Pas besoin de régimes spéciaux qui ne font que créer une injustice. C’est d’autant plus évident que les corporations concernées (SNCF, EDF, etc.) n’autofinancent pas leur régime de retraite, c’est l’état (donc tout le monde) qui paye !

Dans l’état actuel des choses (et du fait des régimes spéciaux), une infirmière qui travaille de nuit cotise à différents titres pour payer une retraite confortable à des agents de bureaux de la SNCF qui font 8h30-16h00… Ça n’est pas la prise en compte légitime des conditions de travail qui crée une injustice, mais le fait que cette prise en compte implique tout le monde et ne profite qu’aux régimes spéciaux.

 

Alors OUI, une réforme est urgente et nécessaire, mais vers plus de justice et d’intégrité. Et elle passe par la réduction à une seule entité de la cinquantaine d’organismes qui trafiquent avec nos retraites et une situation claire ou les réformes sont indiscutables. L'allongement du temps de cotisation des gens refusés par le marché du travail est un leurre.



1https://observatoire-des-seniors.com/669-des-50-64-ans-en-activite-en-2019/

2https://www.notretemps.com/retraite/emploi/retour-emploi-chomeurs-seniors,i203103

3Pour ma part c’était une question tous les deux mois par courrier lent (alors qu’ils avaient l’ensemble du dossier et mon adresse mail!) du genre : «  quelle activité avez vous eu entre le 30 septembre, fin de votre contrat de travail et le 5 octobre, date de votre prise en charge par les Assedic ? ». La réponse est évidemment qu’il s’agit des jours de carence imposés par l’assurance chômage et avait déjà été validées comme telle par l’assurance maladie.

4Le RSI avait obtenu la délégation de service public pour l’assurance maladie des « indépendants ». Cet organisme qui n’avait pas d’existence légale, qui pratiquait l’escroquerie à grande échelle, qui refusait de publier ses comptes malgré l’obligation légale, a été dénoncé dans de nombreux ouvrages, et a causé un nombre incalculable de faillites et de mises au chômage entraînant pour le pays une chute indiscutable de PIB. Sa suppression, qui était une promesse du Candidat Macron, est aujourd’hui effective

5On ne choisis bien sûr pas d’adhérer à un tel organisme ! C’est la Cipav elle-même qui vous déclare adhérent suivant la nature de votre profession, sans contradiction possible.

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